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Terraforming de Mars Genesis (I) Une opération de terraforming est-elle possible sur Mars ? Sous quelles conditions serait-il possible de redonner vie à Mars ? Pourrait-on envisager une opération "génésis" de terraforming qui transformerait son sol aride en un terreau fertile et son atmosphère en air respirable, sa température moyenne devenant positive et permettant le développement de la vie ? Aujourd'hui la NASA a lancé des programmes d'étude visant à étudier l'origine de la vie, à identifier d'autres biosphères sur des exoplanètes, à comprendre l'histoire de la Terre ainsi que les effets de l'homme à court terme sur sa planète. Depuis quelques années une nouvelle question est apparue : quelle est la chance de survie d'un organisme en dehors de la Terre ? Cette question de prospective nous force à porter notre regard vers le futur et nous demander ce qui se produit lorsque la vie colonise d'autres mondes, peut-elle y parvenir, comment procède-t-elle et quelle est la vitesse de ce processus ? En fait c'est la première fois que la NASA se penche sur le futur de l'homme et pour y répondre elle fonda une nouvelle science pluridisciplinaire dénommée l'astrobiologie dont l'objectif est d'étudier l'origine, l'évolution, la distribution et l'avenir de la vie dans l'univers. Sujet controversé pour les uns, de pure fiction pour les autres mais passionnant pour la plupart, l'astrobiologie peut aujourd'hui nous aider à réaliser une expérience unique en son genre : apporter la vie sur Mars et en faire une "planète bleue" comme la Terre... C'est le "terraforming" ("terraformage" en français mais peu utilisé). Origine du concept de terraforming Le terraforming signifie littéralement la "transformation du monde" (ou d'une planète). Ce concept trouve son origine dans la science-fiction. En 1930, Olaf Stapledon suggéra dans son livre "Last and First Men" l'idée d'électrolyser à grande échelle une mer sur Vénus afin de préparer son environnement pour sa colonisation par l'homme.
C'est dans les années 1940 que l'auteur Jack Williamson inventa le terme "terraforming" dans une série de nouvelles. Finalement c'est Arthur C. Clarke qui donna à ce concept toute son ampleur dans son roman "Les sables de Mars" publié en 1951 et traduit en français en 1955. L'idée fut reprise par les scientifiques dans les années 1960, parmi lesquels l'exobiologiste Carl Sagan qui publia plusieurs articles sur les différentes possibilités de "terraformer" Vénus. A la fin des années 1970 le terraforming de Mars a également fait l'objet de plusieurs études, en particulier par les astrobiologistes Chris McKay, Jim Kasting sans oublier Carl Sagan. Enfin, le terraforming fut médiatisé dans le public en 1996 lorsque l'auteur américain Kim Stanley Robinson publia une trilogie intitulé "La trilogie Martienne. Mars la Rouge, Mars la Verte, Mars la Bleue". Son idée était de recréer Mars comme on imagine qu'elle fut, avec de l'eau, une atmosphère et de la vie. L'idée parut tellement originale qu'elle est aujourd'hui connue non seulement des amateurs de fiction mais également des astronomes. Entre 1973 et 1997 on recensa pas moins de 35 articles[1] scientifiques sur le terraforming de Mars. Le concept a ensuite évolué du fait de la complexité de créer un écosystème viable dans lequel ni les hommes, ni les animaux ni même les plantes ne périraient. En 1991, Chris McKay, Owen B. Toon et James Kasting définirent deux niveaux de terraforming de Mars : celui adapté à l'homme et celui adapté aux plantes. Leur idée fut en fait prémonitoire car quelques années plus tard, en 1994 l'expérience Biosphère dut temporairement fermer ses portes faute d'oxygène... Les hommes respiraient une atmosphère réduite à 14.5% d'oxygène au lieu de 21% et une concentration de gaz carbonique de 571 ppm contre 340 ppm à l'air libre à cette époque. Si les plantes s'y adaptaient très bien, pour l'homme cette atmosphère polluée devenait un véritable poison. Nous verrons dans les pages qui suivent que le processus potentiellement à notre portée est celui qui rendrait Mars viable pour les plantes. Mais cet écosystème n'intéresse pas James Kasting. Dans son esprit comme dans celui du public, le terraforming de Mars consiste à rendre la planète Rouge habitable pour l'homme. Et c'est ici que les scientifiques soulèvent le problème de la création de l'oxygène, une grande question que nous allons débattre dans les prochains chapitres.
Mars, un biotope mort-né voici 4 milliards d'années Depuis que l'homme a découvert que Mars fleurtait avec des conditions climatiques voisinent de celles de la Terre, les astronomes, les astrogéophysiciens et les biochimistes ont toujours pensé que Mars était la planète idéale pouvant nous fournir des informations sur l'émergence de la vie. C'est dans ce cadre qu'en 1976 les sondes Viking ont débarqué sur Mars équipées de leur petit laboratoire biochimique et de géologie portatif. Malheureusement les expériences n'ont rien révélé de tangible et ont conduit à la conclusion que la surface de Mars était morte, stérile, sans activité biotique. Mais tous les astrobiologistes ne croient pas que Mars soit tout à fait stérile. Ceci dit il est trop tôt pour répondre par l'affirmative ou la négative à cette remarque. Maintenant la question est de savoir pourquoi Mars est-elle morte ou feint de l'être ? En extrapolant les résultats de la mission Viking et des découvertes récentes, les astrobiologistes nous disent qu'ils ne voient nulle part d'eau à la surface de Mars. Si elle a coulé en abondance disent-ils, c'est dans un passé qui remonte au plus tôt à plusieurs millions d'années. Aujourd'hui l'eau existe encore mais uniquement sous forme de vapeur ou de glace, jamais sous forme liquide car la pression atmosphérique est trop basse (6 mb en moyenne). S'il y a de l'eau sur Mars elle se comporte comme la glace sèche sur Terre, elle se solidifie instantanément et devient friable comme la carbonite. Quant à trouver des organismes vivants, la vie comme nous la connaissons sur Terre exige un minimum d'eau liquide. A notre connaissance, sans eau liquide sur une planète, aucune vie n'est possible et c'est la fin de l'histoire.
Mais si l'histoire de Mars ne tenait qu'à cela, cela ne vaudrait plus la peine de l'étudier avec l'ardeur que lui consacrent les scientifiques. Nous savons qu'il y a des milliards d'années un liquide peu visqueux qui pourrait même être de l'eau salée, coula en abondance à la surface de Mars, creusant des chenaux de plusieurs kilomètres de largeur et des cratères lobés, des deltas, des zones de débacle, il déposa des sédiments, forma des concrétions et creusa des ravines. Nous en avons des preuves probantes et cela s'est produit sur une autre planète que la Terre. Si nous recherchons des traces de vie, la plus évidente est donc celle de l'eau qui constitue par ailleurs l'élément critique de notre problème. En fait Mars disposait d'eau liquide probablement à la même époque que la Terre, lorsque ses océans étaient en cours de formation. C'est parce qu'il est possible de comparer la Terre et Mars en ces temps reculés que l'étude de la planète Rouge intéresse les scientifiques. Et plus encore si nous pouvons démontrer qu'à cette époque lointaine la vie avait déjà émergé sur Mars. Cela voudrait dire que la vie est un phénomène courant dans l'univers, faisant partie des conditions normales de l'évolution d'une planète. Reste à le démontrer in situ. La découverte d'un seul fossile sur Mars, aussi petit soit-il, ferait un tel bruit dans les couloirs des laboratoires que le monde entier en serait bouleversé à jamais. Par ses implications, savoir qu'une autre forme de vie existe ailleurs dans l'univers constituerait véritablement la découverte fondamentale depuis que l'homme est doté de conscience. Nous savons que la Terre porta très tôt de l'eau, que le plus ancien supercontinent (Nuna) émergea voici 4 milliards d'années, entouré d'un superocéan et faisant l'objet d'une très importante activité volcanique sous le couvert d'une atmosphère épaisse riche en gaz carbonique. Les astrobiologistes pensent qu'à la même époque Mars connut la même expérience : atmosphère de gaz carbonique, eau liquide, terre sèche et volcanisme (cf. le modèle géologique de Mars). Si les deux planètes étaient donc semblables au début de leur formation, comme la Terre, Mars a dû porter la vie il y a 3 ou 4 milliards d'années, époque à laquelle on retrouve les plus vieux fossiles au Groenland (zone d'Ishua) et dans l'Est de l'Inde ainsi que des traces de métabolisme biologique au nord du Canada. C'est la raison pour laquelle Mars comptabilise plus de missions d'exploration que n'importe quelle autre corps céleste; trouver des traces organiques, vivantes ou fossilisées, ou des éléments de leur métabolisme est le seul ordre de mission donné aux robots martiens. A présent nous savons que Mars est une planète très intéressante pour son passé biologique. Si par ailleurs nous découvrons aujourd'hui une forme de vie sur Mars nous découvrirons également de quelle manière elle apprit à survivre dans un environnement hostile, froid et sec, et avec très peu d'énergie. Quand on observe la Terre depuis l'espace, avec ses étendues bleues zébrées de nuages blancs et ciselées de continents jaunes-verdâtres comme sur l'image de l'ESA présentée à gauche, on peut se dire qu'il fut une époque où Mars devait lui ressembler. Et la question qui vient de suite à l'esprit est de se demander si dans ces conditions Mars représentait un biotope propice au développement de la vie. Et s'il y avait de la vie sur Mars, s'est-elle développée aussi rapidement que sur Terre ? Jusqu'où ces questions peuvent-elles nous mener ? Les hommes finiront par coloniser Mars pour différentes raisons, ils y installeront probablement des bases et des colonies permanentes qui puiseront dans l'environnement les ressources dont ils ont besoin, air, eau et matières premières. En toute logique on peut donc se demander ce que deviendra Mars à l'avenir. La question fondamentale est de savoir s'il est possible de redonner à Mars l'environnement chaud et humide qu'elle connut par le passé ? Pourrait-on ressusciter une planète morte il y a plus de 3 milliards d'années ? Mars a-t-il un avenir ? Pourrions-nous redonner vie à Mars ou lui apporter la vie ?
Nous aimerions tous croire que la vie, microbienne ou sous forme plus complexe, existe encore sur Mars, soit sous une forme dormante (même en hibernation ou en cryptobiose) ou carrément au mieux de sa forme et vivant à quelques centimètres sous le sable bien à l'abri des rayonnements nocifs et du froid. Malheureusement une analyse systématique et objective laisse à penser qu'il n'existe plus rien de vivant aujourd'hui sur Mars, ni en surface ni sous la surface. C'est en tous cas le résultat des analyses faites par les robots Viking, Spirit et autre Opportunity. Ils n'ont pas la précision d'une analyse faite dans un laboratoire terrestre, mais le risque d'erreur reste tout de même minime. A première vue et pour différentes raisons, la plupart des traces organiques ont disparu il y a plusieurs milliards d'années, il y a tellement longtemps que malheureusement aujourd'hui les chercheurs pensent que Mars est une planète stérile. C'est pourquoi bon nombre d'astrobiologistes aimeraient bien apporter à ce monde sans vie un nouvel espoir et partager avec lui le génome de la Terre. Le rôle du gaz carbonique et de l'oxygène Pour rendre Mars habitable pour l'homme comme l'envisage James Kasting, il faut tout d'abord que son atmosphère soit respirable et contienne donc au moins 15 à 20% d'oxygène. Sa température moyenne en surface doit également remonter au-dessus du point de congélation afin que l'eau puisse produire ses effets. Aujourd'hui la surface de Mars se trouve tout près du point triple, 0°C/6 mb. Un rien suffit donc à liquifier ou à congeler l'eau comme un rien suffit à la vaporiser. Nous devons donc trouver un moyen de réchauffer la surface de Mars afin de maintenir l'eau sous forme liquide durant une période suffisamment longue tout en augmentation la concentration des gaz compatibles avec le développement de la vie.
Nous connaissons les effets des gaz à effet de serre tel le gaz carbonique qui, s'il est disponible en grande quantité, peut réchauffer une planète en l'espace d'une génération. Sur Terre le gaz carbonique fut la nourriture des premières bactéries avant que l'oxygène ne la remplace. Mais trop point n'en faut. Nous savons malheureusement trop bien que trop de gaz carbonique peut engendrer un déséquilibre écologique à l'échelle planétaire, c'est le fameux effet de serre dont les conséquences affectent aujourd'hui négativement les conditions climatiques un peu partout dans le monde (fonte des glaces, pollution, canicules, etc). Vénus par exemple est un milieu naturel où ce type de phénomène a réduit à néant tout espoir de voir émerger une quelconque forme de vie : le gaz carbonique représente près de 96% des gaz atmosphériques et a porté son atmosphère entre 200 et 485°C sous une pression de 93 atmosphères, l'équivalent de la pression qui règne sous 931 m d'eau ! Dans la perspective d'un terraforming sur une planète gelée disposant d'une atmosphère comme Mars, le gaz carbonique est essentiel pour épaissir l'atmosphère et provoquer un effet de serre significatif mais pour cela il faut le libérer des calottes polaires. Il faut ensuite que ce gaz carbonique soit converti en oxygène et c'est ici qu'interviennent les micro-organismes comme les cyanobactéries. On y reviendra. Mais trop d'oxygène est tout aussi néfaste. En effet, il peut se lier à d'autres éléments - c'est l'oxydation - et à forte concentration c'est un poison. Ensuite, si le milieu devient très oxydant, c'est-à-dire lorsque les éléments ont tendance à perdre leur(s) électrons(s), ce qu'on appelle un milieu réducteur, les éléments réduits deviennent instables ou perdent leurs propriétés. Dans les deux cas, cela peut conduire à la disparition de la vie. Il faut donc trouver un juste équilibre entre la concentration des différents gaz et tenter de reproduire sur Mars ce qui s'est passé sur Terre ces quatre derniers milliards d'années sans provoquer une catastrophe comme sur Vénus. Il faut tout d'abord bien faire la différence entre le gaz carbonique et l'oxygène. La Terre et Mars sont deux mondes séparés représentant deux histoires distinctes. Le gaz carbonique a prédominé sur Terre jusqu'au Précambrien, portant la température de l'air à plus de 80°C, avant que ne s'établisse la transition vers l'oxygène qui envahit l'atmosphère il y a un peu moins de 2 milliards d'années (voir le diagramme ci-dessus à gauche), rafraîchissant sa température jusqu'aux environs de 20°C. On y reviendra à propos des grandes étapes de l'évolution de la Terre et de la vie.
Sur base de cette évolution et de la connaissance des effets désastreux des situations extrêmes, en théorie nous pouvons transformer Mars de deux manières. Soit augmenter la concentration du gaz carbonique soit celle de l'oxygène. Mais immédiatement se pose logiquement la question plus "terre-à-terre" de savoir s'il existe sur Mars suffisamment de matériaux pour réaliser l'un de ces projets ? Les éléments de base sont disponibles car les atmosphères des planètes telluriques sont d'immenses zones de stockage (de séquestration) pour quantité de gaz, aussi rares soient-ils. En revanche, avec la technologie actuelle il n'est pas possible de transporter ces gaz d'une planète à l'autre. Rien que la masse exigée pour transporter l'azote terrestre sur Mars est astronomique. Représentant 75% du poids de l'atmosphère, il faut compter sur environ un million de lancements d'un million de navettes spatiales ! C'est simplement utopique et aucune agence ni aucun consortium international n'acceptera un tel projet. Nous sommes donc contraints d'élaborer ces gaz sur Mars. Mais ne nous emballons pas trop vite car nous allons découvrir que si certains problèmes peuvent être résolus, certaines difficultés sont peut-être insurmontables. Prochain chapitre Fabrication d'une atmosphère martienne
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