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Quand la Terre était chaude

Communautés thermophiles (le patchwork brun) en plein développement  dans le lac de Porcelaine situé dans le bassin du Geyser Norris dans le parc de Yellowstone, aux Etats-Unis. Document Siar Anthranir.

La vie thermophile et hyperthermophile (I)

Au cours des cinquantes dernières années les biologistes ont découvert des lieux sur Terre où la température était jugée intolérable et dans lesquels pourtant vivaient et prospéraient des colonies d'organismes unicellulaires. Parmi ces biotopes extrêmes se trouvent les fumeurs abyssales et les sources hydrothermales. Mais si ces milieux étaient plongés entre 100 et 400°C, on ne connaissait aucun organisme survivant entre au-delà de 80°C.

Aujourd'hui on ne peut plus affirmer que la vie est impossible dans un liquide en ébullition. Jusqu'à présent la forme de vie extrême hyperthermophile était le microbe Pyrolobus fumarii qui survit près des volcans par une température de 113°C.

Le 15 août 2003, la revue "Science" annonça que Derek Lovley et Kazem Kashefi de l'Université de Massachusetts à Amherst avaient découvert un nouvel organisme capable de survivre dans un milieu plongé à une température de 121°C. Son nom était tout trouvé : "Strain 121", la souche d'un nouveau type d'organisme hyperthermophile ("souche" se traduisant en anglais par "strain"). A ce jour, cependant le résultat n'a pu être reproduit par un autre laboratoire.

Bien que cette découverte n'a pas été confirmée, beaucoup d'auteurs la considère comme le record absolu. L'existence de Strain 121 est intéressante à plus d'un titre car non seulement elle recule la limite des températures tolérables pour la vie mais elle apporte des arguments aux paléobiochimistes qui pensaient que la Terre avait abrité la vie très peu de temps après sa formation, à une époque où la température en surface, tant sur les continents que dans les lagons dépassait largement 100°C.

Cette découverte permet également d'envisager d'éventuelles formes de vie extraterrestres capables par exemple de survivre dans des environnements volcaniques ou aux abords de lacs de souffre en ébullition ou des geysers.

Cette souche appartient en fait à la famille des Archaea, des microbes ancestraux unicellulaires proches des bactéries, mais qui n'en sont pas encore réellement. En 2001, on avait déjà découvert des archéobactéries thermophiles et méthanogènes dans les sources chaudes des montagnes de Beaverhead dans l'Idaho supportant des températures de 58°C mais cette nouvelle espèce hyperthermophile est vraiment étonnante, comme toutes les bactéries ancestrales.

121°C n'est pas n'importe quelle température. C'est la température de la vapeur d'eau dans un autoclave lors d'un processus de stérilisation. C'est déjà la température atteinte par Strain 116 Methanopyrus kandleri, une Archaea méthanogène lorsqu'elle est cultivée sous une pression de 20 MPa. Toutefois à pression atmosphérique normale, cette Archaea vit à 116°C maximum.

La vie selon Strain 121

Strain 121 est proche de Pyrolobus fumarii. C'est une cellule sans noyau, à membrane simple, d'environ 2 microns de diamètre qui ressemble à une petite balle de tennis remplie de cytoplasme et couverte d'une douzaine de poils ressemblant à des flagelles.

Elle vit dans le monde obscur et bouillonnant des évents hydrothermaux sous-marins tel celui présenté à gauche (cf. la faculté d'adpatation). Réchauffée par le magma passant juste sous l'écorce terrestre, l'eau bouillante jaillit des évents à travers les failles du plancher océanique. La pression dépassant 240 bars, l'eau ne se transforme pas en vapeur mais sa température à la sortie des évents est proche de 400°C !

L'échantillon remonté par Lovley et Kashefi a été collecté à environ 322 km au large de Puget Sound (le coin N-O des Etats-Unis) à 2400 m de profondeur sur la dorsale de Juan de Fuca dans l'océan Pacifique. L'Ecole d'Océanographie de l'Université de Washington, avec le parrainage du programme Life in Extreme Environments de la NSF, y conduit des recherches sur la vie extrême sous la direction du biologiste et océanographe John Baross. Cet endroit contient trois ou quatre fumeurs noirs qui libèrent en permanence des fluides toxiques dans lesquels se mêlent de l'hydrogène et des composés riches en minéraux (fer, soufre, etc).

Alors que la mer avoisinante baigne par une température de 2°C seulement, Strain 121 et les autres animalcules (vers Riftia, crustacés et bivalves) vivent et se reproduisent dans une mer en ébullition qui ferait suffoquer, intoxiquerait, brûlerait et écraserait la plupart des organismes vivants inadaptés à ce milieu. Plus étonnant encore, sous 80°C Strain 121 passe à l'état de veille, comme d'autres passent en état d'hibernation quand le climat se refroidit ou lorsque l'eau vient à manquer ! En revanche, à la température maximale de 121°C, le temps de génération de Strain 21 augmente considérablement, pour atteindre 25 heures.

Si on se base sur la température, nous pouvons classer les organismes en quatre catégories : les Psychrophiles (< 20°C), les Mésophiles (20-40°C), les Thermophiles (40-80°C) et les Hyperthermophiles (80-121°C). En complément certains d'entre eux peuvent supporter des rayonnements ionisants, le froid et le vide de l'espace, les très hautes pressions ou un milieu salin, alcalin et/ou acide.

L'arbre de la vie selon Carl Woese (1984).

Un biotope typique qu'affectionnent les archéobactéries et certaines eubactéries est celui du célèbre parc national américain de Yellowstone, la plus vaste zone tempérée volcanique actuellement en activité sur Terre.

Ce parc qui reçoit annuellement près de 3 millions de visiteurs est également fréquenté par plusieurs espèces d'archéobactéries et de cyanobactéries thermophiles qui se développent dans les bassins volcaniques multicolores aux eaux chaudes et vaporeuses.

Strain 121 appartient à l'un des premiers embranchements d'archéobactérie. Anaérobie, elle respire des oxydes de fer pour transformer sa nourriture en énergie et rejette de la magnétite comme nous consommons de l'oxygène pour oxyder nos aliments, transformer les sucres en énergie et nous rejetons du gaz carbonique.

Dans le premier cas le processus peut se dérouler en l'absence de toute lumière, ce qui étend son biotope à tous les mondes cavernicoles, souterrains et sous-marins chauds.

La présence de vastes dépôts de magnétites au fond des océans, signes d'un sous-produit du métabolisme (respiration) de certaines archéobactéries et l'abondance du fer sur Terre durant la phase prébiotique conduisent Lovley et Kashefi à penser que la réaction redox (réduction-oxydation) et en particulier le transport d'électrons vers les ions fer a probablement été la première forme de respiration microbienne à une époque où la Terre était un monde chaud et abritait les premières formes de vie hyperthermophiles.

A gauche, le fond de ces deux éprouvettes contient de la magnétite que l'on attire avec un aimant, c'est le sous-produit de la respiration de l'archéobactérie Strain 121. L'éprouvette de gauche contient une culture de Strain 121 qui produit de la magnétite en abondance tandis que l'éprouvette de droite est un tube témoin non inoculé. A droite, une coupe mince de Strain 121 révèle son enveloppe cellulaire constituée d'une simple couche (S) et sa membrane cytoplasmique (CM). La barre blanche représente 1 micron. Documents Derek Lovley.

Leur conclusion demande un mot d'explication et conduit en fait à une autre découverte, encore plus étonnante. A l'image des bactéries Geobacter qu'étudie Derek Lovley, certaines archéobactéries sont capables de produire du courant qui n'est autre qu'un déplacement d'électrons. En dégradant le glucose en présence d'eau et d'ions Fe III pour former du gaz carbonique, des ions Fe II et des protons, la réaction rédox produit des électrons. Le rendement est de l'ordre de 10%. La réaction est la suivante :

C6H12O6 + 6 H2O + 24 Fe(III) 6CO2 + 24H+ + 24e-

Cette réaction demande un médiateur sous la forme d'ions de fer entre le glucose et le récepteur, l'électron. Ce médiateur est en fait toxique pour l'homme. Derek Lovley a découvert une bactérie, Rhodoferrax ferrireducens, "fonctionnant" sans ce médiateur et offrant un rendement de 80%. La réaction est la suivante :

C6H12O6 + 6 H2O 6CO2 + 24H+ + 24e-

Ainsi, en lui fournissant un peu d'eau sucrée avec un taux constant de glucose, cette bactérie se met à produire de l'électricité !

Si Strain 121 survit entre 85 et 121°C dans un milieu de culture dépourvu d'oxygène, Pyrolobus fumarii, son challenger, lui, trépasse. Après avoir passé une heure dans un stérilisateur autoclave à 121°C, seul 1% de la colonie survécu et aucune cellule ne parut viable.

Pour pouvoir croître et se développer à 121°C, Stain 121 semble donc disposer d'une propriété remarquable qu'aucun autre organisme ne dispose.

Plus étonnant encore, les chercheurs ont observé que non seulement Strain 121 survivait au processus de stérilisation mais sa population doublait sous ce régime en l'espace de 24 heures ! Bien que les chercheurs n'aient pas observé de croissance au-delà de cette température, des milieux de culture qui avaient passé deux heures à 130°C continuaient à croître quand on les transposaient sous un climat plus frais à 103°C.

Si aujourd'hui les descendantes des bactéries ancestrales vivent encore dans des environnements extrêmes comme les sources d'eau chaude de Yellowstone, d'Islande ou d'Idaho, on peut en conclure que les eaux et les surfaces continentales de la Terre primitive devaient être beaucoup plus chaudes à l'époque où la vie apparut.

Deuxième partie

Les découvertes de la paléobiochimie

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