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Les extinctions de masse

Une mitochondrie, un parasite devenu la centrale d'énergie de nos cellules. Doc FSU/Microscopy/Hybrid Medical Animation  

Quand l'humanité manqua de disparaître (III)

Les anthropologues évoquent très peu souvent un évènement majeur qui manqua de décimer la population humaine à l'époque des hommes de Néandertal et des premiers Cro-Magnon (une sous-espèce de l'Homo sapiens vivant en Europe).

En analysant le taux de mutation de l'ADN mitochondrien au cours des âges, deux professeurs spécialistes de génétique humaine à l'Université d'Utah, Lynn Jorde, généticien à l'Ecole de Médecine et Henry Harpending, anthropologue, s'aperçurent qu'au lieu d'observer une taille relativement constante des populations, avec localement des pics de croissance voire des périodes de stagnation ou de décroissance, y compris des mélanges de population, ils observèrent que la population humaine avait franchement diminué y a environ 100000 ans pour une raison qui demeurait mystérieuse.

Cette observation confirma ce que pensaient déjà d'autres généticiens. On s'est longtemps demandé pourquoi l'humanité actuelle présentait un patrimoine génétique contenant si peu de variantes alors qu'il était si riche au départ ? Comme si l'évolution avait été à rebours... En effet, on constate aujourd'hui que toutes les sociétés humaines, qu'elles vivent en Afrique, en Europe, en Asie ou en Amérique présentent pratiquement le même patrimoine génétique alors qu'en l'espace de cent mille ans nous aurions dû obtenir une diversité génétique bien plus abondante du fait des combinaisons génétiques.

L'ADN humain est si similaire aujourd'hui à travers les populations que les scientifiques en ont conclu qu'il y eut certainement une réduction catastrophique de la population dans le passé. L'évènement qui s'est produit correspond à une extinction quasi totale où seuls quelques milliers d'individus auraient survécu. En fait, notre espèce était sur le point de disparaître.

Mais en corollaire cela en dit long également sur notre évolution. D'une extraordinaire diversité avant leur quasi extinction, nos ancêtres seraient passés par un goulot d'étranglement qui expliquerait la pauvreté de notre patrimoine génétique aujourd'hui. Concrètement, cela signifie que nous descendons tous d'une même famille.

Jorde et Harpending ont estimé que cet étranglement génétique s'était produit voici 70 ou 80000 ans, en pleine époque Néandertal et quelques centaines de milliers d'années après l'apparition des premiers Homo sapiens.

Reste à savoir quel évènement décima la population humaine, au point que l'humanité fut à deux doigts de l'extinction, ne laissant sur Terre qu'environ 2000 survivants selon les dernières estimations (les chiffres varient entre 2000 et 10000 individus).

A la recherche de l'exterminateur de l'Humanité

C'est à l'occasion d'une conférence donnée par Henry Harpending sur ce "bottleneck" que le Prof. Stanley Ambrose, paléoanthropologue à l'Université de l'Illinois mis en corrélation ce phénomène avec l'explosion du supervolcan Toba (dont voici une autre photo) de Sumatra, un immense volcan qui développa autant d'énergie que l'éruption simultanée de 1000 volcans comme le St.Helens, ce qui correspond à une éruption explosive méga-colossale, une "VEI 8".

Bien que la date exacte de cette catastrophe soit encore largement débattue, selon le volcanologue canadien John Westgate, expert émérite mondial des cendres volcaniques (les cendres libérées par un volcan sont particulières à chacun d'eux, telles des empreintes ADN), les cendres qu'on retrouva dans un rayon supérieur à 3000 km autour de Sumatra et datant toutes de la même époque ont une seule et même origine, le supervolcan Toba qui explosa voici 74000 ans.

Toba éjecta dans l'atmosphère 3000 km3 de magma et des quantités inimaginables de dioxyde de soufre qui atteignirent même le Groenland, se transformant en nuages mortels d'acide sulfurique. Les analyses des carottes de glace révèlent que suite à cette méga éruption, la température moyenne de l'atmosphère chuta de 3 à 5°C au cours du millénaire suivant. C'est la plus importante éruption volcanique que connut la Terre au cours des deux derniers millions d'années. Elle couvrit le continent indien de 15 cm de cendres volcaniques. Selon les modèles développés par le centre Goddard de la NASA, il s'en suivit un hiver volcanique qui dura 6 ans, altérant le climat en profondeur, au point que l'hémisphère nord subit un âge glaciaire qui dura plusieurs milliers d'années.

Les chasseurs Bushmen du Kalahari sont les plus anciens représentants de l'humanité. Les cotoyer vous fait remonter 100000 ans dans le passé. Héros du film "Les dieux sont tombés sur la tête" (1981), cette comédie n'en est pas moins bouleversante quand on les voit s'amuser avec trois fois rien alors qu'il nous arrive de nous ennuyer malgré toute notre technologie... Le progrès est bien relatif ! Document Bushways.

Ces pluies de cendres et d'acide ont tué une bonne partie des organismes vivants y compris les êtres humains dans une suite de réactions bien connues des volcanologues (cf. l'explosion de Santorin en 1650 avant notre ère, celle du Vésuve à Pompéi en l'an 79 et celle du Laki en Islande en 1783 parmi d'autres catastrophes majeures). En effet, si les êtres humains ne sont pas morts dans l'explosion et les coulées pyroclastiques dans les minutes qui suivirent l'éruption de Toba, en respirant les cendres, ils ont littéralement respiré du ciment liquide qui les tua par lente asphyxie et d'atroces souffrances. Ceux qui en échappèrent ont également respiré des cendres dont les arêtes très coupantes ont lacéré les vaisseaux sanguins et les cellules de leurs poumons, les noyant dans leur propre sang. Si cela ne suffisait pas, au contact des muqueuses humides, le dioxyde de soufre présent dans l'air se transforma en acide sulfurique, les pauvres victimes agonisant jusqu'à leur dernier souffle. Enfin, les survivants durent affronter un hiver volcanique et une pénurie de nourriture qui dura plusieurs années.

Voici 500000 ans la population mondiale comptait déjà plusieurs millions d'individus qui avaient déjà conquis la plupart des terres d'Afrique, d'Europe, d'Amérique et d'Asie.

Avant l'éruption du supervolcan Toba, on pense que des centaines d'espèces d'hominidés plus ou moins ramifiées et affiliées vivaient sur Terre, ce qui devait représenter quelque 30 millions d'êtres humains.

On estime que l'explosion de Toba et les conséquences climatiques qui suivirent tuèrent 60% des êtres humains. Après l'explosion de Toba, une seule espèce aurait survécu, celle qui aboutit à l'Homo sapiens.

Actuellement, selon les analyses ADN, les descendants les plus vieux de l'humanité sont les Khoisans ou Bushmens vivant dans le désert du Kalahari en Afrique du Sud, dont la race vivait déjà sur terre il y a au moins 100000 ans.

La seconde plus ancienne race humaine sont les pygmées d'Afrique centrale. Leur ADN a montré qu'à l'époque où la plupart des continents étaient réunis ou n'étaient séparés que par d'étroites bandes de mer, ils avaient déjà conquis la Nouvelle Guinée, les Philippines (Aeta), Malaya (Semang, comprenant la Malaisie et Singapour), la Thaïlande (Mani), l'archipel des îles Andaman, Flores (Rampasasa) et l'archipel des Vanuatu en Polynésie.

Cette catastrophe globale est un évènement aujourd'hui oublié dont seules les strates géologiques et les couches glaciaires du Groenland ont gardé la trace. Les volcanologues savent que Toba se réveillera un jour mais on ignore quand.

Mais si cette éventualité paraît bien éloignée et peu probable, récemment les géologues ont découvert un deuxième supervolcan et cette fois bien actif : c'est le supervolcan de Yellowstone qui se cache dans le grand parc naturel du Wyoming, aux Etats-Unis. Son éruption qui doit se produire incessamment à l'échelle géologique, pourrait être de la même ampleur que celle de Toba et aurait un effet tout aussi dévastateur, et pas seulement sur la région alentour, mais sur toute la Terre. En fait, si certains alarmistes prétendent qu'on assistera à la 6e extinction, celle de l'Humanité, c'est sans doute et espérons-le très exagéré car toutes les populations humaines ne seront pas affectées de la même façon, notamment tous celles vivant dans l'hémisphère sud qui représentent 40% de la population mondiale.

Ceci dit, cette éventualité rend encore plus significative l'extinction du Permien-Trias. La découverte en 2017 des forêts pétrifiées en Antarctique qui auraient survécu à cette extinction (voir page 1) soulève la question de l'avenir des espèces actuelles et notamment la question de savoir si nous ne sommes pas en train d'assister à une 6e extinction. En effet, au taux actuel les chercheurs estiment que d'ici 300 ans, 75% de toutes les espèces de mammifères auront disparu de la planète. En 2060, certains estiment que 30% de toutes les espèces auront disparu. Mais la différence est que les extinctions massives antérieures dépendaient exclusivement de causes naturelles alors que celle à laquelle nous assistons est liée à la destruction des écosystèmes, des changements climatiques et à la pollution induits par les activités humaines parmi d'autres facteurs.

Notre espérance de vie

Même si nous feignons d'ignorer le cas particulier des supervolcans de Yellowstone et de Toba, sachant que leur éruption reste un évènement rarissime même s'il sera redoutable, notre avenir reste malgré tout incertain à l'échelle géologique, et plus encore à l'échelle astronomique, ce que confirma Richard Gott III en calculant l'espérance de vie d'une société, estimée entre 0.2 et 8 millions d'années.

Il est même fort possible que si nous continuons à détruire notre environnement au rythme actuel - chaque jour disparaissent plus d'une centaine d'espèces vivantes - dans 25 ans, un million d'espèces auront disparu ! Or sans biodiversité, nous scions la branche sur laquelle nous nous sommes hissés. Cette course insensée pour l'appât du gain immédiat nous conduit tout droit à notre perte.

Bien que l'évolution semble progresser du simple au complexe, l'explosion frénétique de vie qui apparut au Cambrien n'est qu'une solution proposée par dame Nature. Relançant la roulette de la vie, il est plus que probable que l'Homme ne réapparaîtra plus, au grand dam du père Teilhard de Chardin.

Si notre ancêtre primitif, le ver Pikaia gracilens a survécu à l'extinction du Cambrien, c'est probablement parce qu'il n'y jouait aucun rôle majeur. Pourtant c'est grâce à lui que nous sommes là aujourd'hui. Mais ce phénomène n'est pas paradoxal.

Le Pikaia gracilens est un ver qui vivait dans la boue et les régions côtières humides à l'ère du Cambrien voici 530 millions d'années. On pense qu'il est à l'origine du phylum Chordata (des vertébrés). Image extraite de "Rises of Fishes" de John A.Long, The John Hopkins University Press, 1995.

La sélection naturelle fut supplantée un temps par d'autres règles, dont la chance ne fut pas des moindres. C'est elle qui joua le rôle de la Grande Faucheuse, déterminant quelles espèces devaient survivre et lesquelles devaient s'éteindre. Ainsi que le dit Gould[5], “nous sommes un évènement hautement improbable dans le cours de l'évolution qui fut perçu comme un coup de tonnerre au même titre que le fait de faire jouer au hasard un rôle déterminant...”.

En fait, plus nous bouleversons notre biotope et les écosystèmes de façon générale, plus rapidement nous accélérons notre disparition. Si nous ne faisons pas bientôt marche arrière, nous nous éteindrons également, juste retour des choses pour avoir saccagé la plus belle oeuvre de dame Nature, la vie. Que les extinctions du passé nous servent de leçon.

Pour plus d'informations

Sur ce site

Echelle des temps géologiques (et PDF) - Version anglaise sur ICS

L'extinction des dinosaures

Le risque d'extinction de l'humanité

La biodiversité

L'espérance de vie d'une société

Le développement durable

Livres en français

La 6e Extinction, Elisabeth Kolbert, Vuibert, 2015

Biodiversité : vers une sixième extinction de masse ?, Raphaël Billé et al., La ville Brûle, 2014

Des premières bactéries à l'homme : L'histoire de nos origines, Jean-Claude Gall, L'Harmattan, 2009

La vie est belle. Les surprises de l'évolution, Stephen J. Gould, Seuil, 1998; Seuil Points Sciences, 2004

Ecocide : Une brève histoire de l'extinction en masse des espèces, Franz J. Broswimmer, Paragon, 2003

La sixième extinction : Évolution et catastrophes, Richard Leakey et Roger Lewin, Flammarion, 1998; Champs-Sciences, 2011

Rises of Fishes, John A.Long, The John Hopkins University Press, 1995

De l'extinction des espèces, David M. Raup, Gallimard, 1993 (Extinction: Bad Genes or Bad Luck, Norton, 1991)

La nouvelle alliance, Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, Gallimard-Folio, 1986

Livres er articles en anglais

Introduction to Paleobiology and the Fossil Record, M.J. Benton et D.A.T. Harper, Wiley-Blackwell, 2009/2020

Extinctions in the History of Life, P.Taylor, Cambridge University Press, 2009

Palaeobiology II, D.E.G. Briggs et P.R. Crowther (Eds), Oxford: Blackwell, 2001/2009
When Life Nearly Died. The Greatest Mass Extinction of All Time, M.J. Benton, Thames & Hudson, 2003/2015
Evolutionary Catastrophes: The Science of Mass Extinction, V.Courtillot, Cambridge University Press, 1999/2002
Extinction Rates, J.H. Lawton et R.M. May (Eds), Oxford: Oxford University Press, 1995

Periodicity of extinctions in the geologic past, D.Raup et J.Sepkoski Jr, Science, PNAS, 81 (1984), p801-805
Mass extinctions in the marine fossil record, D.Raup et J.Sepkoski Jr, Science, 215 (1982), p1501-1503

Cretaceous oceanic anoxic events: causes and consequences, S.O. Schlanger et H.C. Jenkyns, Geology in Mijnbouw, 55 (1976), p179-184.

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[5] S.J. Gould, “La vie est belle”, op.cit., p291.


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